Vous avez sûrement déjà entendu et lu les :
« Tu dois chanter avec le ventre »
« Tu dois apprendre à bien utiliser ton diaphragme »
« Il faut apprendre à contrôler ton expiration ! »
Oui, vous ne pouvez pas y échapper : ces phrases sont omniprésentes, que ce soit dans les cours, les formations, les blogs et les tutoriels YouTube. La respiration est souvent présentée comme la base indispensable d’une bonne technique vocale.
Mais il ne vous aura pas échappé que ces conseils sont souvent contradictoires, ou peu applicables en pratique réelle, et pour la plupart, manquent de fondement scientifique. En vérité, il est fort probable que bon nombre de ceux qui vous les donnent, n’ont pas une idée claire de la manière dont ils respirent eux-mêmes….
Alors je pose la question : est-ce bien utile de suivre tous les conseils? Quels sont ceux qui valent le coup? Ce sont les questions auxquelles je vous propose de répondre ici, en m’appuyant sur des études scientifiques.
Comment respirer pour chanter ?

Rentrons tout de suite dans le vif du sujet : y a-t-il oui ou non une bonne manière de respirer, autrement dit de prendre l’air pour chanter ?
Eh bien… si en effet, il existe différents types de respiration (en gros, que vous pouvez solliciter davantage certains muscles plus que d’autres) aucun en soi, n’est bon ou mauvais. Ce qui importe, c’est qu’ils soient adaptés à ce que vous voulez chanter, à la tâche vocale. (1)
Pendant des siècles, l’accent a été mis uniquement sur la façon de prendre de l’air. Aujourd’hui, nous savons qu’il est impossible de dissocier la respiration de la production vocale. Notre corps fonctionne comme un système dynamique où la respiration, les plis vocaux et le conduit vocal interagissent constamment. Ce n’est donc pas uniquement la manière dont on respire qui compte, mais aussi comment cette respiration est gérée en fonction des besoins vocaux. (2) (3)
C’est ce constat qui a poussé de nombreux chercheurs et pédagogues à s’intéresser davantage aux pressions d’air exercées sur les plis vocaux — un processus complexe, mais essentiel. (4)

Si la respiration diaphragmatique / abdominale / basse est souvent mise en avant dans le chant, c’est qu’elle permet un contrôle plus fin de la pression d’air, sans surcharger les plis vocaux. Pour autant, nous aurions tort de croire qu’elle soit la seule valable, parce qu’encore une fois, tout dépend de la tâche vocale. Si bien que, quel que soit le style de chant, vous observerez les chanteurs gonfler le ventre ou hausser le thorax.
De même, dans notre quotidien, sans même y penser, nous utilisons différentes manières de respirer en fonction de ce que nous avons à dire : que nous chuchotions des mots doux ou que nous appelions quelqu’un à 10 mètres.
Nous n’y pensons pas, et en général, ça fonctionne très bien. C’est parce que ce n’est pas à nous, consciemment, de gérer cela: c’est notre cerveau qui en est le chef d’orchestre. Il assure une coordination précise de la respiration et de la production vocale.(5)
Et ce que je veux dire, c’est qu’une recherche excessive de « la bonne » manière de respirer pour chanter n’est finalement pas très judicieuse. Si notre cerveau décide d’utiliser un type de respiration plutôt qu’un autre, c’est qu’il a ses raisons, qui ne devraient pas être déconsidérées ou outrepassées.
Les problèmes vocaux surviennent moins parce que vous “respirez mal”, que parce que vous tentez d’imposer à votre corps une façon de faire qui ne lui est ni naturelle ni fonctionnelle. (3) (6)

Des sorte que plus qu’une question d’apprendre une seule “bonne” et unique manière de respirer, notre rôle, en tant que chanteurs, est donc de mieux comprendre nos propres différents schémas de respiration et l’interaction entre les plis vocaux, le conduit vocal et notre système respiratoire.
Faut-il chanter avec le ventre ? (respiration abdominale pour le chant)
Ah… Ça on l’entend souvent!
Des études se sont penchées sur cette question. Des chercheurs ont observé les mouvements musculaires et les volumes d’air utilisés par plusieurs chanteuses, toutes formées pour apprendre la respiration abdominale (chanter avec le ventre).

Le protocole était simple : chanter la même phrase musicale. Les résultats ont montré que chaque chanteuse a développé sa propre manière de respirer, unique et personnelle. En effet, comme l’ont montré des recherches, même avec une formation identique, les stratégies respiratoires varient d’une personne à l’autre.
Encore plus surprenant, ces chanteuses pensaient utiliser certaines parties de leur corps pour respirer, mais les capteurs placés sur leur corps ont révélé une toute autre réalité.
Des études ont démontré que, même si les chanteurs suivent des méthodes similaires, leur respiration s’adapte en fonction de ce qu’ils veulent produire vocalement. Ce qu’ils pensent faire n’est donc pas toujours ce qui se passe réellement dans leur corps. (7) (8)

Alors, je vous pose la question : est-il vraiment judicieux de suivre les conseils de respiration de quelqu’un qui probablement, ne comprends même pas la sienne?
Qu’est-ce que l'appui respiratoire ou « appogio » ?
Faut-il contrôler son expiration pour tenir des notes longues?
Rappelons d’abord que la résistance naturelle à l’écoulement de l’air vient de ce que vous chantez. C’est un ensemble complexe qui inclut l’intensité, le volume sonore, la hauteur de la note, le mécanisme laryngé, le phonème utilisé, l’espace de résonance dans votre conduit vocal, ainsi que la position des différents éléments qui le constituent.

Dans le chant lyrique, on parle en general d’« appui respiratoire » ou « appogio » souvent simplifié en un ralentissement de la remontée du diaphragme ayant pour but de prolonger l’expiration.
Mais on voit bien que ce contrôle du diaphragme n’existe pas de manière isolée. Il est indissociable de ce que vous chantez, de ce qui crée naturellement une résistance à l’air.

Cette technique a du sens dans le chant lyrique, où l’on recherche une certaine homogénéité acoustique et esthétique. Mais dans d’autres styles, où il y a une grande diversité de sons, de textures et de timbres, ce contrôle n’est absolument pas fondamental.
Comme d’habitude, on essaie d’appliquer des notions de chant lyrique dans tous les autres styles musicaux. C’est un peu comme si on obligeait des danseurs de salsa ou de rock à maîtriser le ballet classique en prétendant que c’est essentiel. Absurde, non ? Et pourtant, culturellement, l’enseignement du chant a souvent suivi cette logique.
Et puis, vous savez, cette technique de l’appui respiratoire, du contrôle du diaphragme, même les plus grands pédagogues du chant n’ont jamais réussi à s’entendre: chacun a sa définition, parfois contradictoire avec celle des autres. (9)
Qu’est-ce que le soutien vocal ?
Le soutien vocal est souvent confondu avec l’appui respiratoire, mais à mon sens, il faut bien faire la différence.
Le soutien, en réalité, est une implication musculaire globale, qui engage non seulement les abdominaux, mais aussi le thorax et la région dorsale. C’est un ancrage, un point d’appui qui aide à maintenir la stabilité de la voix tout au long du chant. Ce n’est donc pas uniquement une question de respiration.

Mais attention, le soutien n’est pas une technique qu’il faut appliquer systématiquement à chaque note, à chaque phrase chantée. Surtout dans le chant moderne. Contrairement au chant lyrique, où un soutien constant est souvent recherché pour maintenir une voix puissante et homogène, dans d’autres styles, cette pression continue n’est pas nécessaire. Parfois, il faut simplement laisser la voix se libérer et s’exprimer naturellement.
En fait, l’idée n’est pas de “forcer” le soutien, mais de permettre au corps de trouver cet équilibre entre la respiration, la tension musculaire et la relaxation, en fonction des besoins du moment. C’est un travail subtil, qui s’adapte en fonction de ce que l’on chante.
“Je manque d’air donc je ne respire pas bien” ? (manque de souffle pour chanter)
Les difficultés que vous rencontrez n’ont probablement pas grand-chose à voir avec votre respiration.
En général, à moins qu’elle soit produite de manière compulsive, ou que vous cherchiez à appliquer une technique inadaptée, votre respiration s’ajuste naturellement aux exigences de votre voix.

Quand vous ressentez ce manque d’air, vous vous dites : « Ah, voilà, c’est bien ce que je disais, je ne sais pas respirer ! »
Mais non… La sensation de manquer d’air, souvent perçue comme un signe de mauvaise technique, – d’ailleurs très souvent par les profs de chant eux-mêmes! – est en réalité un simple retour sensoriel, un besoin physiologique que le corps nous envoie, indiquant qu’il faut reprendre de l’air pour assurer la survie. Mais ça ne signifie pas nécessairement un problème de respiration en soi. En réalité, c’est plus souvent un déséquilibre dans d’autres aspects de la technique vocale.
Parce que votre cerveau, dans cette situation, ne se soucie pas de la beauté de votre chant, il s’en fiche bien. Il se concentre sur une chose : la survie. Et il vous le rappelle.
Alors, vous pouvez sortir votre panoplie d’exercices de respiration pour essayer de résoudre ça si vous voulez, mais cela ne résoudra pas véritablement le problème…
Un discours dominant mais pas toujours utile
Vous pouvez penser que si le discours dominant préconise l’acquisition d‘une bonne respiration abdominale pour mieux chanter, c’est qu’il doit y avoir une raison…
Mais n’oubliez pas que c’est en grande partie un héritage du chant classique. Qui ne s’applique pas nécessairement aux autres styles musicaux. Même selon Richard Miller, pédagogue reconnu dans le monde du chant, les techniques de respiration spécifiques au chant lyrique sont directement liées aux exigences esthétiques de ce genre et non à des principes physiologiques universels. (10)

Et puis… Regardez autour de vous : combien de vos amis, connaissances chantent très bien sans se soucier de leur respiration ?
Alors pourquoi cette obsession? Le chant fait partie de l’histoire humaine depuis la nuit des temps. Toutes les sociétés humaines chantent, même celles les plus isolées. Difficile d’imaginer que, partout dans le monde, les peuples se soient vraiment demandé comment ils respiraient pour chanter. (11)
Pensez-vous réellement que les chanteurs de blues ou de gospel, esclaves déportés en Amérique du Nord, avaient le temps ou l’opportunité de réfléchir à leur technique respiratoire? Bien sûr que non. Leur priorité était ailleurs, à l’émotion, l’expression brute, la liberté vocale, bien loin des dogmes académiques que vous cherchez à vous imposer.
Ce n’est donc pas parce que notre culture les a mis sur un piédestal qu’il faut suivre ces enseignements aveuglément.
Comment apprendre à respirer pour chanter ? (exercices et exploration)
En général, je conseille de ne pas trop se préoccuper de la manière dont on respire, de ne pas se focaliser dessus de façon excessive. On créée un problème qui n’existe pas. On engendre un stress inutile.
Mais ne pas s’en préoccuper ne veut pas dire “ne pas s’y intéresser”: il s’agit d’explorer votre propre mécanique respiratoire, les espaces qui interviennent dans votre respiration, et comment ils interagissent avec le son. Voir les différentes pressions exercées sur vos plis vocaux, et comment trouver, pour vous, un équilibre de pressions.
Et ce que je vous propose dans les cours de chant en ligne !
L'essentiel de cet article
Comment respirer pour chanter et gérer le souffle
La respiration est essentielle au chant, mais il n’existe pas une seule bonne manière de respirer. L’important est d’adapter votre respiration à la tâche vocale, en fonction du style et des besoins spécifiques de votre voix.
Cette approche vient du chant classique, quand on ignorait que la respiration n’est qu’une partie du geste vocal global. Mais cet héritage persiste, et on continue souvent à perdre du temps avec des exercices de respiration isolés qui ne servent pas vraiment à mieux chanter.
On parle souvent de chanter avec le ventre pour évoquer la respiration diaphragmatique. Mais ce n’est pas cette technique qui garantit de mieux chanter ni qui résout tous les problèmes vocaux. Chaque voix trouve son propre équilibre respiratoire, sans condition absolue.
Plutôt que de forcer une technique unique, il est conseillé d’explorer votre respiration personnelle, d’observer comment votre corps fonctionne en chantant, et de chercher un équilibre naturel entre votre intention, votre production vocale et votre respiration.
Les exercices de respiration ne sont pas une panacée. Ils peuvent aider à mieux sentir son souffle, mais chanter repose avant tout sur une coordination globale et naturelle du corps. La respiration s’adapte à votre voix, à votre intention. Elle ne se maîtrise pas isolément. Autrement dit, les exercices de respiration qu'on vous fait faire ne servent quasiment à rien. Peu d'artistes que vous aimez, tous styles confondus, s’embêtent avec ça.
L’appui respiratoire désigne le contrôle de la pression d’air lors de l’expiration pour soutenir la voix, surtout en chant lyrique. Ce concept n’est pas universel : dans d’autres styles, ce contrôle strict n’est pas toujours nécessaire.
La sensation de manquer d’air est un signal naturel du corps indiquant qu’il faut reprendre de l’air, et ne signifie pas forcément une mauvaise technique respiratoire. Le problème vient souvent d’un déséquilibre dans d’autres aspects du chant.
Références:
Scott, McCoy. (2014). On Breathing and Support. Journal of Singing
Ingo, Titze. (2023). Air pressures that are critical in vocal fold vibration
Sally, Collyer. (2009). Breathing in classical singing: Linking science and teaching
- Joseph, Talia. (2017). 2. History of Vocal Pedagogy: Intuition and Science, A.
Miller, R. T. (1996). The Structure of Singing: System and Art in Vocal Technique
- Steven, Mithen. (2006). 1. The singing Neanderthals: The origins of music, language, mind, and body. Cambridge Archaeological Journal