Les origines du "Chanter Faux" : ce que dit la science
Avant de voir ensemble des stratégies pour améliorer la justesse, il est essentiel de comprendre de quoi on parle.
« Chanter juste », cela signifie qu’on reproduit précisément la note que l’on souhaite chanter. Et « Chanter faux », c’est donc ne pas réussir à atteindre cette note.
C’est ce qu’on appelle l’intonation. Elle repose à la fois sur des principes physiques et acoustiques précis, et sur une perception subjective qui varie d’une personne à l’autre.
Une très légère imprécision dans une note chantée peut-être objectivement mesuré mais c’est l’oreille de chacun qui juge si elle est correcte. La note peut-être parfaitement juste, mais ne pas plaire à tout le monde. Et inversement, on peut chanter « faux » tout en créant quelque chose d’agréable pour certains.
Et, donc on voit bien là que le sujet n’est pas si simple. Il y a beaucoup de gens qui considèrent chanter « faux », sans que ce soit le cas, simplement parce qu’ils n’aiment pas ce qu’ils entendent. Et il faut rappeler aussi que dans certains styles musicaux, et peut-être même dans la majorité d’entre eux, une légère imprécision dans la justesse ajoute de l’émotion, de la fragilité ou de la tension, ce qui enrichit l’interprétation.
Nous allons mettre ça de côté et parler ici uniquement des difficultés que vous pouvez rencontrer à vouloir chanter juste sans y arriver. C’est à dire que objectivement, quand vous chantez, involontairement, vous ne produisez pas toujours la « bonne » note.
Il existe alors deux types de « chanter faux ».
Les différents "chanter faux"
Le premier est mélodique. La difficulté à restituer une suite de notes, du fait de sa complexité. Du fait d’intervalles larges entre les notes, un rythme difficile à comprendre, un tempo rapide… Et ça, même des musiciens professionnels peuvent avoir du mal.
Il arrive aussi que la mélodie soit claire pour vous mais qu’en la produisant, à un moment, vous la déplacez soit trop aiguë, soit trop grave. On entend parfois ce phénomène dans des « joyeux anniversaire » où la note du « a » de anniversaire n’est pas à la bonne place alors que les notes de la mélodie qui suivent, sont cohérentes entre elles.
Cette difficulté avec la mélodie est davantage liée à un manque d’entraînement de l’oreille musicale, une difficulté à entendre et à maintenir une cohérence harmonique.
Et puis, nous avons un autre type de « chanter faux » lorsque vous ne parvenez pas à atteindre la justesse d’une seule ou quelques notes à l’intérieur d’une mélodie.
Dans ce cas, ce n’est plus vraiment l’oreille seule qui est en cause. Des études, comme celle du BRAMS en 2011, montrent que la plupart des gens, même sans formation musicale, peuvent reproduire une note qu’ils entendent sur un instrument comme le piano. Et, à condition que la note se trouve dans une plage vocale confortable pour eux, ils peuvent même sans trop de difficultés la reproduire vocalement.
Mais dès qu’on sort de ces notes confortables, pour chanter une note aiguë ou grave par exemple, c’est plus compliqué à produire pour notre voix, du fait tensions musculaires ou un manque de coordination. Ou d’autres raisons encore, psychologiques, psychologiques, qui sont en fait très variées et personnelles.
Il est important que vous puissiez avoir une idée plus claire de ce qui vous pose problème, et de comment votre « chanter faux » s’exprime, afin de mieux pouvoir le résoudre. Et ce, même si les différents cas de “chanter faux” que nous venons de voir peuvent se mélanger et se superposer.
Techniques pour améliorer la justesse
Voyons à présent comment améliorer globalement la justesse vocale. Je me suis plongé dans les études sur le sujet, dans tout ce qui existe et mon expérience, pour vous faire un condensé des stratégies qui ont prouvé, plus ou moins, leur efficacité.
Vous remarquerez que certaines s’adressent à l’oreille musicale, c’est-à-dire le fait de mieux entendre la note pour la reproduire, d’autres se concentrent davantage sur la production vocale, et d’autres encore, un mélange des deux. L’idéal serait de jouer sur tous les tableaux, en renforçant la connexion entre l’oreille, la voix et le cerveau.
Les méthodes pour geek
Commençons par des stratégies qui font appel à des outils extérieurs à nous. Ça peut sembler gadget au premier abord, mais ca peut-être efficace.
Par exemple, des applications qui permettent de vérifier la justesse de la note que vous chantez. Des accordeurs pour guitare ou une application comme celle-ci (vocalist lite), spécifiquement conçue pour les chanteurs, en font partie. Ces outils sont utiles si vous avez du mal à entendre si vous chantez juste ou non, et leur aspect ludique rend l’exercice plus accessible. L’application vous montre si vous êtes trop haut ou trop bas par rapport à la note cible, fonctionnant ainsi comme un miroir sonore.
Ce retour visuel aide votre cerveau à mieux connecter ce que vous entendez avec ce que vous produisez vocalement. D’ailleurs, des recherches ont démontré que le retour visuel, tel que celui fourni par des jeux vidéo de chant, peut significativement améliorer la précision!
Une autre méthode, geek, c’est de ralentir vos morceaux. Cela vous aide à décomposer la musique et permet à votre cerveau de traiter chaque note avec plus de précision, tout en améliorant la coordination entre l’oreille et la voix. Vous pouvez utiliser des applications comme Up Tempo ou Audio Speed Changer, ou même profiter de la fonction de ralentissement disponible sur YouTube.
Plus axée sur le solfège, une autre approche consiste à se concentrer sur les intervalles en utilisant des numéros. Bon, ca nécessite un minimum de connaissances musicales et une partition, mais c’est une méthode très efficace. Par exemple, vous pouvez associer chaque note de la gamme à un numéro : Do = 1, Ré = 2, Mi = 3, etc. Cette technique aide à structurer mentalement les relations entre les hauteurs, pour faciliter la navigation dans la mélodie.
Pour ces 3 premières méthodes, il n’y a pas vraiment d’études scientifiques directes qui démontre leur efficacité, mais les principes sous-jacents sont soutenus par des concepts en neurosciences et en psychologie cognitive.
L'approche kinesthésique: dessiner la mélodie
Parmi les méthodes les plus intéressantes pour améliorer votre justesse, il y a l’approche kinesthésique qui consiste à dessiner la mélodie dans l’air avec vos mains, en imitant les mouvements de la ligne mélodique. Cette méthode est soutenue par des études qui montrent que l’intégration de gestes physiques dans l’apprentissage musical, améliore la perception et la production des hauteurs. En combinant mouvements corporels et pratique vocale, vous pouvez mieux intégrer les variations de hauteur et améliorer ainsi votre précision dans l’intonation.
Une variation de cette méthode consiste à jouer la mélodie, même de manière simplifiée, sur un instrument comme un piano ou un synthétiseur tout en chantant par-dessus. Cela vous aide à visualiser les notes et à mieux comprendre leurs relations. De plus, de nombreux tutoriels de piano sont disponibles pour vos morceaux, souvent en décomposant la mélodie pour faciliter son apprentissage. Et on aurait tort de s’en priver.
Références:
- Liao, M. and Davidson, J. W. (2015). The effects of gesture and movement training on the intonation of children’s singing in vocal warm-up sessions. International Journal of Music Education, 34(1), 4-18.
- Leman, M., & Godoy, R. I. (2004). “The embodied music cognition project”. Musicae Scientiae, 8(1), 3-31.
- Cross, I. (2001). “Music, cognition, culture, and evolution”. Psychology of Music, 29(3), 177-189.
Le "humming"
Axée sur la production vocale autant que l’oreille et toutes les sensations qui en découlent, une autre approche est de chanter vos mélodies avec des sons bouches fermées. Autrement dit Mhh. Cela permet de se concentrer sur la hauteur des notes sans être distrait par le timbre et les mots. Vous différenciez ainsi les composants de votre mélodie.
Pour pratiquer, chantez tout simplement votre mélodie tout en gardant la bouche fermée, vos lèvres et votre bouche au repos, en vous concentrant uniquement sur la hauteur des notes. Essayez de ressentir où se produit la résonance et faites cela à différents volumes, confortables. Vous pouvez aussi faire des variantes, avec d’autres consonnes nasalisées comme le N ou le Ng de parking. Voire des consonnes voisées comme le VV, le ZZ, ou le JJJ. Bref, vous pouvez varier les plaisirs.
On se rapproche là des techniques de Semi-Occluded Vocal Tract Exercises (SOVT), et les travaux d’Ingo Titze, qui visent à améliorer l’efficacité de la production vocale. Ils permettent une meilleure coordination entre la respiration et la production sonore.
Références:
Miller, Richard. The Structure of Singing: System and Art in Vocal Technique (2nd ed.). Wadsworth Publishing, 2004.
Titze, I. R. (2006). The Science and Art of Voice Rehabilitation. San Diego: Plural Publishing.
Chanter mentalement
Enfin, la stratégie que je pense la plus efficace, consiste à chanter mentalement avant de le faire réellement, à voix haute. Des recherches en neurosciences cognitives ont prouvé que la visualisation mentale d’une note, active les mêmes zones cérébrales que lorsque l’on chante réellement. Ce processus améliore la coordination entre l’intention et l’exécution.
Pour pratiquer, fermez les yeux et imaginez la mélodie dans votre esprit. Essayez de l’entendre dans votre tête aussi clairement que possible. Visualisez le mouvement de la mélodie, la hauteur des notes, leur relation. Vous pouvez utiliser n’importe quelles images qui vous parlent. Que les notes soient représentées comme des étages d’un immeuble, des chiffres, les branches d’un arbre… Qu’importe tant que cela vous parle.
Cherchez à sentir tout ce que vous ressentez lorsque vous faites ça. Des mouvements dans votre bouche, vos lèvres, votre langue, votre gorge. Comment l’air se déplace en vous. Sentez les micro-mouvements subtils qui se produisent.
Une variation de cela, que j’utilise dans mes cours de chant en ligne de ma formation, c’est d’ajouter un chuchotement. Donc pas de son. Et puis, vous pouvez alterner les deux.
Tout ça requiert une grande attention. Mais c’est très efficace!
Références:
Jeannerod, M. (1994). “The representing brain: Neural correlates of motor intention and imagery.” Behavioural Brain Sciences.
Guillot, A., & Collet, C. (2005). “Duration of internally generated movement: A review of the psychophysiological literature.” Journal of Cognitive Neuroscience.
Decety, J., & Jeannerod, M. (1996). “Mentally simulated movements in virtual reality: A neurophysiological approach.” Neuropsychologia.
Conclusion
Vous avez maintenant de bonnes pistes pour améliorer votre justesse vocale.
De cette histoire de justesse, même si c’est important, n’oubliez pas que la perfection technique n’est pas toujours ce qui rend votre chant intéressant. La justesse n’est pas le seul critère qui compte. L’authenticité et l’expression émotionnelle sont souvent plus importantes. Et d’autant plus que les auditeurs tolèrent mieux les petites imperfections de justesse lorsqu’ils écoutent une voix qu’un instrument.